Le Conseil d’État vient d’appliquer la solution issue de la jurisprudence Icade Promotion de la CJUE conditionnant le régime de la TVA sur marge à l’existence d’une rémanence de TVA (CJUE, 30 septembre 2021, C-299/20 Icade Promotion confirmé par CE, 3°-8° ch. réunies, 12 mai 2022, n° 416727).
Pour rappel, dans l’arrêt Icade Promotion, la CJUE a considérablement réduit le champ d’application de la TVA sur marge, telle qu’appliquée actuellement en droit interne, en considérant que « l’article 392 de la directive TVA devait être interprété en ce sens qu’il permet d’appliquer le régime de la taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir aussi bien lorsque leur acquisition a été soumise à la TVA, sans que l’assujetti qui les revendait eu le droit de déduire cette taxe, que lorsque leur acquisition n’a pas été soumise à la TVA alors que le prix auquel l’assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial ».
Selon l’arrêt de la CJUE, le régime de la taxation sur la marge n’est donc pas ouvert à la revente d’un terrain à bâtir dont l’acquisition a été réalisée auprès d’un particulier agissant dans le cadre de son patrimoine privé dans l’hypothèse où le prix de cession de ce terrain à bâtir n’incorpore aucune TVA rémanente.
Cette solution est fondée sur deux principes essentiels de la TVA.
Tout d’abord, selon le principe fondamental inhérent au système de TVA, toute dérogation au principe général d’imposition doit être interprétée de manière stricte.
Ensuite, conformément au principe de neutralité, le régime de taxation sur la marge vise à compenser une rémanence de TVA non déductible. En effet, une taxation sur le prix de vente total à l’issue de la première consommation finale aurait pour conséquence, en l’absence de possibilité de déduction, l’inclusion dans l’assiette de la seconde revente non seulement d’un prix déjà grevé de la première TVA, mais également du montant de cette TVA.
Cette double taxation (i.e. rémanence de TVA) n’a pas lieu d’être dans le cadre de la cession d’un terrain à bâtir qui n’a jamais supporté de la TVA à titre définitif.
Cette solution vient d’être appliquée dans un arrêt du 18 avril 2023, rendu conformément aux conclusions relativement succinctes de la rapporteure publique Céline GUIBE (CE, 18 avril 2023 n°468094, société Dekal).
Dans cette affaire, la société Dekal, qui exerce une activité de marchand de biens, a procédé à la revente de huit terrains à bâtir (acquis auprès de particuliers dans le cadre d’une cession située hors du champ d’application de la TVA) entre le 1ermars 2012 et le 23 juillet 2015. L’ensemble de ces cessions ont été soumises au régime de la TVA sur marge visé à l’article 268 du code général des impôts.
A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a remis en cause l’application de la TVA sur marge et a procédé à des rappels assis sur l’intégralité du prix de vente des terrains cédés.
Le tribunal administratif de Lyon a fait droit à la demande de la société Dekal mais la Cour Administrative d’Appel de Lyon a limité la décharge à deux cessions de terrains à bâtir.
Le Conseil d’État, reprenant à son compte le considérant de l’arrêt Icade Promotion de la CJUE, annule l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Lyon au motif que « en jugeant que les cessions de biens immobiliers (…) pouvaient être soumises au régime de la taxation sur marge, alors qu’elle avait par ailleurs relevé (…) que l’acquisition des terrains en litige, qui avait été effectuée auprès de vendeurs particuliers n’ayant pas la qualité d’assujettis, n’avait pas été soumis à la TVA sans qu’il soit justifié que le prix d’acquisition aurait incorporé un montant de taxe acquitté en amont par les vendeurs initiaux, la cour a méconnu le champ d’application des dispositions de l’article 268 du CGI ».
Même si la décision du Conseil d’État ne le mentionne pas, il ressort clairement de l’arrêt de la Cour Administrative d’appel de Lyon que la condition d’identité de qualification juridique entre l’acquisition et la revente était respectée pour la cession des deux terrains à bâtir (CAA Lyon 8 août 2022 n°19LY01745).
Dans cet arrêt, le Conseil d’État se fonde donc exclusivement sur l’absence de justification d’un montant de TVA rémanente, qui avait été déjà soulevée par la Cour Administrative d’appel de Lyon, pour exclure les deux cessions en litige du régime de la TVA sur marge.
Toutefois, l’arrêt n’indique pas quelles sont les modalités permettant d’apprécier si la cession par l’assujetti revendeur incorpore un montant de TVA rémanente.
L’exposé des faits ne permet pas non plus de reconstituer les modalités d’acquisition des terrains à bâtir par les vendeurs. Il ressort toutefois des conclusions de la rapporteure publique que l’acte d’acquisition des terrains ne comportait aucune mention permettant de justifier que le prix d’acquisition aurait incorporé un montant de taxe acquittée en amont par les vendeurs initiaux.
De nombreuses questions restent donc en suspens comme celle de savoir jusqu’où il convient de remonter dans l’historique d’acquisition pour déterminer si le prix de cession de l’immeuble incorpore un montant de TVA.
Dans l’attente d’une mise à jour du BOFIP publié sous les références BOI-TVA-IMM-10-20-10 tirant les conséquences de la jurisprudence Icade Promotion, nous serons donc curieux de connaître la décision de la cour de renvoi devant se prononcer sur l’existence d’une éventuelle TVA rémanente.
Enfin, nous relevons que le débat ne s’est pas ouvert sur la garantie offerte par l’article L80 A du Livre des procédures fiscales alors que, à la date des faits, la notion d’ouverture des droits à déduction était clairement définie par l’administration fiscale dans son BOFIP.
Anaïs Hanin-Aussel – Jérôme Lacourt
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16/06/2023