Dans un arrêt rendu le 3 décembre 2020 publié au Bulletin (Civ. 3e, 3 déc. 2020, n°19-25.392), la Cour de cassation nous donne l’occasion de revenir sur la procédure d’apurement des comptes entre le constructeur et le maître de l’ouvrage.
Une SCI conclut deux marchés de travaux privés à forfait. Les travaux achevés, l’entrepreneur notifie au maître de l’ouvrage ses décomptes provisoires, conformément à la norme Afnor NFP 03-001 dans sa version de décembre 2000. En l’absence de réponse de la SCI, l’entrepreneur considère qu’elle a tacitement accepté les comptes et l’assigne en paiement du solde dû.
La norme Afnor NFP 03-001 organise la procédure d’établissement du décompte définitif. En particulier, elle fait obligation au maître de l’ouvrage d’examiner le décompte provisoire adressé par l’entrepreneur dans un délai strict, puisque toute absence de réponse dans ce délai entraîne l’acceptation tacite par le maître de l’ouvrage du décompte notifié par l’entrepreneur.
Les parties peuvent déroger ou aménager cette procédure dans leur marché de travaux, mais si le contrat est soumis à la norme Afnor dans sa version d’octobre 2017, il ne faut pas oublier que toute modification de la norme, pour être opposable, doit désormais être récapitulée dans le dernier article du contrat ou dans un document particulier du marché.
Dans le contexte exceptionnel de la crise sanitaire, la question de la suspension du délai de réponse accordé au maître de l’ouvrage a pu se poser lorsque ce délai devait expirer pendant la période dite « juridiquement protégée », instaurée par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020. En effet, la norme Afnor fait obligation au maître de l’ouvrage de répondre dans un délai déterminé à peine de quoi il est déchu du droit de contester les sommes réclamées par le constructeur ; hypothèse qui pourrait correspondre aux dispositions de l’article 3 de l’ordonnance. Pour autant, rappelons que la tolérance qui était de mise jusqu’au 23 juin 2020 n’a pas été reconduite.
Dans son arrêt du 3 décembre 2020, la Cour de cassation vient approuver la Cour d’appel de Lyon, lorsqu’elle devait examiner les conséquences de l’absence de réponse de la SCI, d’avoir appliqué un traitement différent aux « travaux supplémentaires », en l’espèce des travaux modificatifs non régularisés, et aux « dépenses supplémentaires », en l’espèce diverses réclamations indemnitaires.
S’agissant des « travaux supplémentaires », la Cour de cassation fait prévaloir l’article 1793 du code civil en vertu duquel, dans le cadre d’un marché à forfait, toute augmentation suppose impérativement l’accord préalable et écrit du maître de l’ouvrage. En l’espèce, l’absence de réponse du maître de l’ouvrage ne peut valoir consentement aux travaux supplémentaires ni acceptation tacite.
Quant aux « dépenses supplémentaires », l’entrepreneur sollicitait la prise en charge des conséquences financières de manquements contractuels de la SCI ayant entraîné une désorganisation du chantier. La Cour d’appel relève que, les manquements contractuels étant précisément justifiés par l’entrepreneur, le maître de l’ouvrage était en mesure de répondre contradictoirement. Dès lors, l’absence d’opposition doit pouvoir être assimilée à une acceptation tacite des sommes réclamées.
La distinction faite, encore faut-il pouvoir déterminer précisément ce qui relève des travaux supplémentaires qui supposent nécessairement l’accord écrit du maître de l’ouvrage, et les « dépenses supplémentaires », qui peuvent faire l’objet d’une acceptation tacite. Cette interrogation trouve un exemple dans l’actualité : les dépenses non prévues engagées par l’entrepreneur dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 peuvent-elles ou non faire l’objet de la procédure d’établissement du décompte définitif ? À notre sens, ces dépenses peuvent être intégrées dans le décompte, mais seraient sujettes à contestation dans une certaine mesure, puisque l’entrepreneur demeure tenu de certaines obligations en matière de sécurité et d’hygiène, telles qu’imposées par le Code du travail, la norme Afnor le cas échéant, voire le marché de travaux.
Pour éviter toute déconvenue, on ne peut que vivement conseiller au maître de l’ouvrage, d’abord de vérifier le cadre contractuel applicable et de respecter scrupuleusement les obligations et délais qui lui incombent dans le cadre de la procédure d’apurement des comptes, mais également d’apporter une réponse étayée, précise et circonstanciée sur les éventuels points de contestation.
Cette décision reflète, une nouvelle fois, la double volonté de la Cour de cassation depuis plusieurs années de faire de la procédure d’établissement du décompte définitif la dernière chance pour l’entrepreneur de réclamer le paiement de travaux et dépenses supplémentaires, mais également celle de responsabiliser le maître de l’ouvrage, en l’obligeant à faire davantage preuve de diligence et de vigilance dans le cadre des marchés de travaux.
Vincent Vendrell et Laurie Excoffon
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10/03/2021