Aux termes de l’article 787 B du CGI, les transmissions par décès et les donations de parts ou actions de sociétés ayant fait l’objet d’un engagement collectif de conservation ou « pacte Dutreil », sont exonérées de droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 75% de leur valeur.
Depuis une loi n° 2005-882 du 2 août 2005, les donations d’usufruit ou avec réserve d’usufruit peuvent bénéficier également de l’exonération partielle, celle-ci s’appliquant alors à la valeur de l’usufruit ou de la nue-propriété des titres déterminée conformément aux règles de droit commun par application du barème de l’article 669 du CGI (barème en fonction de l’âge du donateur).
Cette exonération partielle particulièrement favorable nécessite une maîtrise des nombreuses conditions afférentes à ce dispositif, avec notamment l’avant dernier alinéa de l’article 787 B du CGI qui prévoit expressément une condition supplémentaire pour les donations avec réserve d’usufruit :
« Les dispositions du présent article s’appliquent en cas de donation avec réserve d’usufruit à la condition que les droits de vote de l’usufruitier soient statutairement limités aux décisions concernant l’affectations des bénéfices. »
Cette restriction dans la répartition de l’exercice du droit de vote entre usufruitier et nu-propriétaire a d’ailleurs fait l’objet de questions parlementaires pour en éclairer la portée (RM Roubaud publiée au JO le 21/12/2010, p. 13754, n° 80202 ; RM Des Esgaulx publiée au JO Sénat le 17/01/2013, p. 166, n°01108), où il était soulevé que la perte de l’essentiel des droits de vote de l’usufruitier, à l’exception de l’approbation des comptes et distributions de dividendes, ne favorisait pas les transmissions anticipées d’un chef d’entreprise à ses enfants parfois mineurs. A cette occasion, le Ministère a rappelé que la finalité du « pacte Dutreil » et la justification de l’avantage fiscal corrélatif nécessite une transmission véritable du pouvoir décisionnel au donataire, dont la limitation des droits de vote de l’usufruitier dans les statuts assure l’effectivité.
Dans un arrêt du 7 mars 2017, la dixième chambre de la Cour d’appel de Paris a considéré qu’il était indispensable que cette condition spécifique pour les donations avec réserve d’usufruit soit prévue dans les statuts au jour de la transmission (CA de Paris, Pôle 5, 10ème Chambre, 7 mars 2017, n°14-08101).
En l’espèce, sous les conseils de leur avocat, un dirigeant et son épouse avaient effectué par un acte notarié une donation-partage à leurs enfants d’une quote-part de la nue-propriété des titres en demandant l’application de l’exonération partielle de l’article 787 B du CGI. Or, ce n’est que 5,5 mois après cette donation, lors d’une assemblée générale ordinaire et formalisé dans la feuille de présence, qu’il a été prévu de nouvelle règle de gouvernance avec une limitation des droits de vote de l’usufruitier, sans que le procès-verbal n’ait été suivi d’une mise à jour des statuts de la société.
Par la suite, l’administration fiscale a notifié aux époux une proposition de rectification remettant en cause l’application de l’exonération partielle de l’article 787 B du CGI entrainant un rappel des droits de mutation à titre gratuit et des intérêts de retard consécutifs.
Ce contentieux a donc été porté jusqu’à la Cour d’appel qui a considéré que le contribuable ne pouvait revendiquer le bénéfice de l’exonération partielle du « pacte Dutreil » en l’absence de mention statutaire en vigueur au jour de la donation relative à la restriction du droit de vote de l’usufruitier et qu’une simple décision postérieure à l’acte de donation n’était pas suffisante pour satisfaire aux dispositions de l’article 787 B du CGI.
En parallèle de ce contentieux avec l’administration fiscale, le dirigeant et son épouse avaient engagé la responsabilité civile de leur avocat et de leur notaire en indemnisation des conséquences préjudiciables de la remise en cause de l’exonération partielle de l’article 787 B du CGI.
Dans ce cadre, après avoir sursis à statuer dans l’attente de la décision citée ci-dessus, la première chambre de la Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 15 janvier 2019, s’est prononcée cette fois sur la responsabilité des conseils (CA de Paris, Pôle 2, 1ère Chambre, 15 janvier 2019, n°17-06751).
Étant donné que la remise en cause de l’exonération partielle du « pacte Dutreil » était exclusivement liée au non-respect de la condition relative à la modification des statuts, au jour de la transmission, sur la limitation des droits de vote de l’usufruitier, la Cour considère que l’avocat a manqué à son obligation d’informer de manière précise et complète le dirigeant et son épouse, et, le notaire a commis une faute dans l’exécution de son devoir d’information et de conseils à l’égard de ces derniers. A noter que la circonstance que l’avocat et le notaire n’aient pas été chargés du suivi et de la mise à jour des documents juridiques afférents à la vie de la société est indifférente étant donné que le dirigeant et son épouse ignoraient la nécessité de modifier les statuts.
Les conseils ont donc été condamnés in solidum à verser à leurs clients des dommages et intérêts en indemnisation du préjudice résultant de la perte de chance de bénéficier de l’avantage fiscal escompté sur leur transmission d’entreprise.
L’enseignement de cette affaire est que l’éligibilité à l’exonération partielle du « pacte Dutreil » nécessite d’en respecter scrupuleusement l’intégralité des conditions prévues par l’article 787 B du CGI et de faire appel à des conseils des plus diligents pour se préserver de toute remise en cause du dispositif.