Dans le cadre du vote du projet de loi de finances pour 2019, les députés ont adopté un amendement créant un article additionnel après l’article 48 afin de renforcer le dispositif d’abus de droit prévu à l’article L64 du LPF.
Cet amendement, adopté par les députés en première lecture, propose de créer un deuxième étage à l’abus de droit déjà existant en codifiant, sous l’article L64 du LPF, un nouveau dispositif visant les opérations à motivation principalement fiscale.
«Art.L.64A.–Afin d’en restituer le véritable caractère et sous réserve de l’application de l’article 205 A du code général des impôts, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
« En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige peut être soumis, à la demande du contribuable ou de l’administration, à l’avis du comité mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 64 du présent code. »
Ce deuxième étage vise l’abus de droit dans sa composante « fraude à la loi » et non dans sa branche « fictivité ». L’abus de droit par fraude à la loi pourra ainsi être étendu aux opérations à motivation fiscale principale et non plus seulement exclusive.
Le dispositif proposé institue une règle d’assiette et non de pénalités, puisqu’il prévoit une requalification des opérations et non l’application de la majoration de 80 % qui demeurerait uniquement applicable pour le premier étage de l’abus de droit, à savoir la fictivité et le but exclusivement fiscal.
L’amendement prévoit également la mise en place d’une procédure de rescrit sur la nature principale du motif fiscal d’une opération.
Comme certains députés ont pu le souligner lors des débats parlementaires, ce nouveau dispositif va sans doute créer des difficultés d’interprétation.
Cette tentative d’introduction du « but principalement fiscal » n’est pas nouvelle. En effet, le projet de loi de finances pour 2014 prévoyait de remplacer l’exclusivité de la motivation (« n’ont pu être inspirés par aucun autre motif ») par une motivation principalement fiscale
(« ont pour motif principal »). Mais cette disposition a subi la censure du Conseil constitutionnel.
Dans leur décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, les Sages du Palais-Royal ont estimé « qu’une telle modification de l’acte constitutif d’un abus de droit a pour effet de conférer une marge importante d’appréciation à l’administration fiscale ». Cette marge d’appréciation, qui peut se traduire par des conséquences pécuniaires lourdes en cas de requalification d’un acte abusif, aurait introduit un trop grand risque d’arbitraire.
Même si la nouvelle proposition d’abus de droit à deux étages ne prévoit pas de sanctions attachées, nous pouvons toujours nous interroger sur l’absence de sécurité juridique accompagnant cette notion de but principalement fiscal.
La sécurité juridique attachée à un dispositif doit s’apprécier indépendamment de sa sanction, qui n’est qu’une conséquence.
L’absence de sanction ne chasse pas l’arbitraire. Elle ne doit surtout pas permettre au législateur de s’affranchir d’un travail de qualité et de voter des textes source d’insécurité.
Comme l’a précisé Monsieur le député Éric Woerth, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, lors des débats parlementaires relatifs à cet amendement : « le diable se loge toujours dans les détails » !
Le sujet est tellement sensible que les députés ont choisi de différer d’une année, la mise en œuvre du dispositif fixée initialement au 1er janvier 2020 (soit une mise en œuvre prévue au 1er janvier 2021). Monsieur le Ministre Bruno Le Maire voit dans cette mise en œuvre différée une possibilité de « bien préciser le dispositif avant de l’appliquer ».
Nous resterons attentifs à l’évolution de ce dispositif dans le cadre du processus législatif et espérons, le cas échéant, une saisie du Conseil constitutionnel.
Cyprien Burtin